Nageur sauveteur, une école de vie

En assu­rant notre sécu­rité, ils acquièrent de la matu­rité. Qui sont les sauve­teurs que nous allons retrou­ver sur les plages cet été ? Comment se voient-ils ? Comment les voit-on ?

Nageurs sauveteurs autour de leurs poste d'observation
© Antony Guyot
Formation des apprentis nageurs sauveteurs
Trois cents heures de forma­tion sont dispen­sées aux nageurs sauve­teurs avant d’as­su­rer votre sécu­rité © Domi­nique Martel

Si vous fréquen­tez une plage où la baignade est surveillée cet été, il y a de bonnes chances que vous les aper­ce­viez. Les nageurs sauve­teurs de la SNSM ne sont pas les seuls à assu­rer la sécu­rité sur le litto­ral : les pompiers le font dans certaines communes, parfois des asso­cia­tions locales, de moins en moins les CRS. Mais la SNSM est le premier acteur, couvrant envi­ron un tiers des plages surveillées. L’été dernier, malgré le début de la crise sani­taire qui avait compliqué les forma­tions, ils étaient mille trois cent quatre-vingts, répar­tis dans cent quarante et une communes du litto­ral. Cet été, ils seront là à nouveau, malgré les nouvelles compli­ca­tions que la Covid fait peser sur les trente-deux CFI – centres de forma­tion et d’in­ter­ven­tion –, qui leur apprennent les tech­niques de sauve­tage, de secou­risme et bien d’autres choses.

Ils seront ensuite répar­tis à trois ou quatre en moyenne par poste de secours ou poste d’in­ter­ven­tion (deux cent cinquante-six l’été dernier). Les postes de secours sont ceux que vous avez l’ha­bi­tude de trou­ver sur la plage ou légè­re­ment en retrait. Dans certaines zones, si les plages sont sans surveillance et/ou diffi­ci­le­ment acces­sibles par la route, vous pouvez voir patrouiller une embar­ca­tion, qui peut être aler­tée par VHF ou télé­phone. C’est le prin­cipe du poste d’in­ter­ven­tion. Pensez à deman­der et noter le numéro ; dans le doute, appe­lez le 196.

La grande majo­rité de ces sauve­teurs quali­fiés sont jeunes. Ils ont pu s’ins­crire en forma­tion dès 16 ans. Les plus jeunes affec­tés à la surveillance ont 18 ans. Souvent, ils viennent de passer leur bac. La classe d’âge de 18 à 21 ans est la plus repré­sen­tée. Il n’est donc pas surpre­nant que les trois quarts d’entre eux soient étudiants. Ils sont « quali­fiés » parce qu’ils ont consa­cré une bonne partie du temps de loisirs de leur année scolaire à quelque trois cents heures de forma­tion, sanc­tion­nées par plusieurs brevets, permis ou diplômes. Eux-mêmes ou leurs parents ont parti­cipé au coût de cette forma­tion, à hauteur d’un millier d’eu­ros envi­ron (le coût réel moyen est estimé à 6 000 €, dont 5 000 pris en charge par la SNSM). Quali­fiés, ils vont deve­nir expé­ri­men­tés à l’oc­ca­sion de leur première saison sur le terrain. Ils ne sont pas seuls. Le savant dosage moyen d’un poste rassemble un nouveau pour quatre anciens, dont un forma­teur. 28 % de ces nageurs sont des nageuses sauve­teuses, propor­tion qui augmente trop lente­ment puisque le chiffre est stable sur ces cinq dernières années ; nous y revien­drons.

Tous ces jeunes sont-ils contents d’être là ? Sont-ils satis­faits de leur expé­rience ? « Oui », répondent-ils massi­ve­ment au ques­tion­naire qu’ils ont été sept cent un à remplir à la fin de la saison dernière, comme l’avaient fait leurs prédé­ces­seurs cinq ans plus tôt. Le taux de satis­fac­tion augmente encore pour atteindre 88 %, dont la moitié très satis­faits. Ils sont contents des équi­pe­ments aux couleurs de la SNSM qu’on leur four­nit (T-shirt, coupe-vent, short, etc.), ils ont appré­cié leur accueil par les mairies et les respon­sables locaux de la SNSM (l’équi­page du canot de sauve­tage et le délé­gué dépar­te­men­tal), leur loge­ment a convenu (ils sont logés et rému­né­rés pour leur mission de surveillance par les communes). Leurs employeurs semblent égale­ment satis­faits. De nombreuses villes renou­vellent l’ex­pé­rience d’an­née en année. Les deux que nous avons inter­ro­gées plus longue­ment, une en Manche (Ouis­tre­ham/commu­nauté urbaine Caen la mer), l’autre en Médi­ter­ra­née (Théoule-sur-Mer) sont satis­faites, voire très satis­faites. Donc tout va bien dans le meilleur des mondes ? Oui et non.

Ils ne sont pas comme avant 

De nos divers entre­tiens ressort une inquié­tude latente, que l’on pour­rait résu­mer en une formule : « Ils ne sont pas comme avant. » Le plus éton­nant pour nous a été d’en­tendre le jeune direc­teur du centre de forma­tion d’Or­léans, Rémy Bicha­rel, 27 ans, confir­mer l’im­pres­sion d’un collègue plus âgé, prêt à passer la main à son adjoint – Thierry Cantais au Havre, 60 ans, dont trente-cinq de dévoue­ment à la SNSM. La part de reproche ou de critique qu’il peut y avoir dans ce constat s’adresse surtout aux parents : nous proté­geons trop nos enfants. Les respon­sables de la forma­tion sont éton­nés de voir arri­ver de plus en plus souvent les parents quand un problème doit être réglé avec un jeune. Du coup, ces « enfants » de 18 ans ne sont souvent pas assez auto­nomes, trop gâtés (manque de respect de la disci­pline pour certains, d’en­tre­tien du maté­riel pour d’autres) et posent parfois des problèmes le soir ou la nuit, loin de papa et maman.

Alors, rien ne va plus, contrai­re­ment à notre impres­sion première ? Pas du tout. C’est Thierry Cantais, au Havre, qui nous donne la clé, après avoir vu passer des géné­ra­tions de jeunes sauve­teurs : « Je suis fier d’eux au mini­mum deux fois dans l’an­née : la première en fin de forma­tion quand ils sont nommés sauve­teurs quali­fiés, et la seconde en septembre quand ils reviennent de leur première saison. Ils sont trans­for­més. Ils ont pris des respon­sa­bi­li­tés, affronté des diffi­cul­tés dans le monde réel. Les parents eux-mêmes viennent parfois me le dire, avec une grande satis­fac­tion. » La SNSM, qui inves­tit de plus en plus massi­ve­ment dans la forma­tion de tous ses sauve­teurs est aussi une école de vie, encore plus précieuse peut-être pour ces géné­ra­tions chou­chou­tées, qu’elle aide à mûrir.

S’il y a, bien sûr, quelques jeunes qui, à l’ex­pé­rience, posent problème, comme cela arrive dans toute insti­tu­tion, ils restent rares et leurs cas sont gérés via des procé­dures disci­pli­naires internes. Guillaume Turpin, inspec­teur adjoint en charge de cette branche d’ac­ti­vité au siège natio­nal, évalue à une ving­taine par an les cas qui remontent en commis­sion de disci­pline, dont un tiers se termine par des non-lieux. Chiffres en dimi­nu­tion depuis que la direc­tion natio­nale demande que l’on affiche, dans les CFI, les sanc­tions et leurs motifs (anony­mi­sés) pour que les exigences de disci­pline soient bien connues de tous. Les non-lieux corres­pondent en effet, souvent, à des situa­tions où les respon­sables accueillant sur place n’ont pas été assez clairs. Romain Bail, le jeune maire de Ouis­tre­ham et vice-président de la commis­sion litto­ral et tourisme de Caen la mer – et, à ce titre, respon­sable de la sécu­rité sur les plages et employeur des sauve­teurs –, explique que tout va beau­coup mieux, y compris l’en­tre­tien du maté­riel, depuis qu’a été mis en place un accueil forma­lisé des sauve­teurs en début de saison avec rappel de quelques exigences, réunion à laquelle il parti­cipe person­nel­le­ment.

Une ligne inté­res­sante sur un CV

Preuve que l’ef­fet SNSM est globa­le­ment très posi­tif pour la très grande majo­rité des jeunes recrues, il les aide aussi à entrer dans la vie active. Ils sont de plus en plus nombreux à dire qu’ils ont trouvé un emploi grâce aux quali­fi­ca­tions acquises à la SNSM : 38 % en 2020, contre 33 % en 2015. Cette évolu­tion est encou­ra­geante pour l’as­so­cia­tion, qui mène un combat de longue haleine afin que ses forma­tions de haut niveau soient plus large­ment recon­nues, avec des équi­va­lences, au titre de la forma­tion profes­sion­nelle. Il est diffi­cile de cerner exac­te­ment quelles sont ces quali­fi­ca­tions qui les ont menés à l’em­ploi. Parfois, le lien est direct : petits boulots de surveillance de baignades avant de suivre les forma­tions complé­men­taires pour deve­nir maître-nageur. D’autres fois, il l’est un peu moins : la forma­tion et le vécu sur les plages ont aidé à prendre confiance en soi pour passer les sélec­tions d’en­trée dans la gendar­me­rie, chez les pompiers profes­sion­nels… ou ailleurs. « Je ne serais pas profes­seur d’édu­ca­tion physique au lycée si mon expé­rience à la SNSM ne m’avait pas aidée à prendre confiance en moi », nous dit Camille Bernard (cf. enca­dré à la fin de cet article). Quelque­fois, c’est simple­ment l’image de rigueur et d’en­ga­ge­ment sur un CV qui est un atout pour un employeur, notam­ment dans les régions litto­rales, où la SNSM est une insti­tu­tion très respec­tée. « Le passage par le sauve­tage est un plus qui doit être valo­risé dans un CV et qui l’est déjà, je pense », nous indiquait récem­ment Frédé­ric Moncany de Saint-Aignan, président du Clus­ter Mari­time Français, qui fédère les entre­prises du monde mari­time.

Jacques Lelan­dais, qui a été pendant vingt-cinq ans maire de Herman­ville-sur-Mer, commune litto­rale proche de Ouis­tre­ham où il préside la station de sauve­tage, raconte qu’il est souvent solli­cité par des parents dont les enfants « ont besoin d’être struc­tu­rés, ne savent pas trop ce qu’ils veulent faire » et qui voient les jeunes nageurs sauve­teurs sur les plages l’été. Certains reculent devant l’am­pleur de la forma­tion, mais, pour d’autres, c’est, au contraire, l’oc­ca­sion précieuse de passer une première marche vers la vie d’adulte et de se diffé­ren­cier via un enga­ge­ment plus forma­teur et struc­tu­rant qu’un simple job d’été. En effet, pour accé­der à la forma­tion de nageur sauve­teur et être quali­fié, il y a une sélec­tion.

En début d’an­née scolaire, le CFI voit arri­ver des jeunes aux moti­va­tions diverses et/ou un peu floues, comme le montrent les diffé­rents articles sur leur forma­tion. À Lorient, les jeunes Koukla et Baptiste sont sans doute assez repré­sen­ta­tifs des candi­dats d’une région litto­rale. Ils voient les sauve­teurs, voire ils en ont eu besoin, comme Baptiste; ils aiment l’eau, les sports nautiques. À Orléans, Lou est plutôt atti­rée par le côté spor­tif ; tandis que Coren­tin vise déjà le métier de pompier profes­sion­nel. Jean-Marc Bois­son, aujour­d’hui direc­teur du CFI de Lyon, se souve­nait d’être venu tout jeune taper à la porte de la SNSM avec des moti­va­tions essen­tiel­le­ment spor­tives : « Moi-même, je suis arrivé ici sans trop savoir ce qu’était le sauve­tage en mer. » Les respon­sables du centre de forma­tion vont les sélec­tion­ner un peu sur leurs compé­tences spor­tives, et beau­coup sur ce qu’ils pres­sentent de leurs capa­ci­tés humaines à aller jusqu’au bout d’une forma­tion exigeante et à s’in­té­grer dans une acti­vité deman­dant disci­pline et rigueur.

On peut déplo­rer que le finan­ce­ment de la forma­tion écarte de fait des jeunes qui pour­raient tirer un grand béné­fice de cette école de vie. L’ex­pé­rience a hélas montré que ceux dont les forma­tions étaient prises en charge par des orga­nismes de finan­ce­ment à voca­tion sociale étaient trop souvent moins assi­dus et tenaces pour aller jusqu’au bout du parcours. 

Les femmes ont toute leur place

Fille ou garçon, cela fait-il une diffé­rence ? Pas du tout. Au contraire, nous n’avons entendu que du posi­tif. Que ce soient les direc­teurs de CFI ou les repré­sen­tants des communes, tout le monde souhaite voir plus de jeunes femmes dans les postes de sauve­tage. À Théoule-sur-Mer, Bruno Borde­reau, direc­teur du service mari­time commu­nal gérant le port et le litto­ral, et sauve­teur SNSM, se féli­cite que la propor­tion fémi­nine augmente à l’ave­nir. « Elles sont peut-être même plus enga­gées. Et, en plus, elles cana­lisent les garçons », assure-t-il.

Partout on souligne ce qu’elles apportent dans les rapports avec le public quand il faut rassu­rer un petit enfant perdu sur la plage ou soigner des bles­sures en calmant les inquié­tudes, par exemple. Ce sont des acti­vi­tés impor­tantes dans les postes de secours. « Mais il ne faut pas les canton­ner à la bobo­lo­gie ou la surveillance aux jumelles en haut de la plage », corrige Thierry Cantais, au CFI du Havre. Son jeune collègue d’Or­léans abonde : « Des filles plus compé­tentes que des garçons, il y en a plein, sans problème ; avec des gaba­rits de 50 kilos qui vous ramènent un bonhomme de 80 kilos ! » Par ailleurs, durant la forma­tion, elles « tirent le groupe vers le haut ». La mixité est une plus-value.

2 nageurs sauveteurs surveillant un groupe d'enfants
Rester atten­tifs pour déce­ler le danger : une lourde respon­sa­bi­lité pour des jeunes © Chris­tophe Kwiat­kowski

La preuve que cela évolue chez les nageurs sauve­teur ? En cinq ans, la propor­tion de femmes n’a pas signi­fi­ca­ti­ve­ment augmenté, mais leur accès aux respon­sa­bi­li­tés a nette­ment progressé. On est passé de 15 % à 21 % pour les chefs de poste et de 0 à 6 % pour les chefs de secteur. Une tendance encou­ra­geante. 

De l’au­to­rité mais pas de pouvoir de police

Parmi les expé­riences forma­trices que vont vivre filles et garçons sur la plage, parlons aussi de celle de l’au­to­rité. Ils ont en effet un rôle de préven­tion et peuvent être amenés à signa­ler à des baigneurs qu’ils se mettent en posi­tion dange­reuse, ou à des usagers de bateaux, Jet-Skis® ou autres qu’ils exposent les baigneurs à un danger. Le ton n’est pas facile à trou­ver quand on a 20 ans et que l’on s’adresse à des adultes plus âgés. Des milliers de personnes sur une plage, c’est la popu­la­tion d’une petite ville. Les Sauve­teurs en Mer peuvent faire des remarques, mais ils n’ont pas de pouvoir de police, contrai­re­ment aux CRS qui surveillaient dans le passé de nombreuses plages, notam­ment à Ouis­tre­ham. « En fin de baignade, les jeunes sauve­teurs de la SNSM savent très bien dire qu’il ne faut pas aban­don­ner ses déchets sur la plage », se réjouit Romain Bail, le maire de Ouis­tre­ham. Mais s’ils sont confron­tés à des personnes qui génèrent un danger et ne veulent pas obtem­pé­rer, c’est plus compliqué. Pour résoudre le problème, une commune du Midi avait souhaité asso­cier des poli­ciers muni­ci­paux aux postes de sauve­tage. « Ce mélange des person­nels a créé des diffi­cul­tés et une situa­tion parfois ambi­guë », a expliqué le président de la SNSM au maire de la commune. « Ouis­tre­ham a choisi une autre option, qui fonc­tionne très bien, assure l’élu normand. Des poli­ciers muni­ci­paux ne sont jamais loin et, si une situa­tion dégé­nère, les sauve­teurs ont leur numéro de télé­phone pour les appe­ler. »

Les précieux forma­teurs vont-ils se raré­fier ?

Ces centaines de jeunes qui auront béné­fi­cié de la forma­tion et de l’ex­pé­rience de nageur sauve­teur ne vont pas tous rester à la SNSM. C’est la vie. En moyenne, ils font deux ou trois saisons. Puis, souvent, les études supé­rieures les éloignent du centre de forma­tion dans lequel ils ont été formés et où ils doivent tenir leur forma­tion à jour. Tant mieux pour les centaines de jeunes de la géné­ra­tion suivante, qui vont béné­fi­cier, à leur tour, de la forma­tion et de l’ex­pé­rience des nageurs sauve­teurs. Leurs aînés leur font natu­rel­le­ment de la place.

Un sauveteur équipe d'un talky walky pointe un lieu sur un carte
Les chefs de poste sont essen­tiels pour trans­mettre leur expé­rience aux plus jeunes © Maxence Le Stunff
3 femmes en formation utilisent un paddle
À la SNSM, on apprend aussi l’im­por­tance du travail en équipe © Domi­nique Martel

Pour que cette belle méca­nique fonc­tionne, il faut cepen­dant que certains restent et prennent des respon­sa­bi­li­tés : chef adjoint, chef de poste, chef de secteur et forma­teur. Parmi ceux-là, la propor­tion d’ac­tifs, un peu plus ou fran­che­ment plus âgés, augmente.

Ici se dessine une vraie inquié­tude dans les propos de nos inter­lo­cu­teurs et dans les chiffres des sondages : y en aura-t-il assez dans l’ave­nir ? En 2015, 57 % des nageurs sauve­teurs ayant répondu au ques­tion­naire envi­sa­geaient de deve­nir forma­teurs. En 2020, ils ne sont plus que 50 %. L’éro­sion est nette parmi les chefs de poste et chefs de poste adjoints, vivier natu­rel des forma­teurs. Dans les Alpes-Mari­times, Bruno Borde­reau, qui est aussi adjoint au délé­gué dépar­te­men­tal, s’en inquiète : « Nous aime­rions bien rouvrir un CFI dans le dépar­te­ment. Il y a une demande des jeunes et nous avons besoin de forma­tions aussi pour les sauve­teurs embarqués, en secou­risme notam­ment. Mais nous crai­gnons de manquer de forma­teurs béné­voles. »

Les forma­teurs, comme les sauve­teurs embarqués sur les canots de sauve­tage, sont des citoyens entiè­re­ment béné­voles qui consacrent à leur seconde famille un nombre d’heures inima­gi­nable. Comment trou­ver ce temps alors que ce sont en grande majo­rité des actifs ? Rémy Bicha­rel, qui est devenu gendarme mobile, explique que des profes­sions comme la sienne sont « tota­le­ment prenantes quand on est en service, mais laissent des plages de temps libre impor­tantes au repos ». Marins, pompiers, ensei­gnants béné­fi­cient égale­ment d’em­plois du temps un peu parti­cu­liers et rela­ti­ve­ment prévi­sibles. Rémy explique aussi qu’il n’a pas encore de respon­sa­bi­lité de famille. Sa vie sociale et amicale en dehors du travail est très liée à la SNSM. Ses propos font écho à ceux d’Aline Marmin, jeune forma­trice, dont on peut retrou­ver le portrait : « Je ne suis pas mariée, je n’ai pas d’en­fants ; je peux y consa­crer le temps que je souhaite. » Mais il y a aussi tous ceux dont la famille supporte et soutient cet enga­ge­ment exigeant, voire les accom­pagne. Nombreuses sont les familles où l’on est sauve­teur de père en fils ou en fille, comme chez Thierry Cantais.

Ce modèle atteint-il ses limites ? Nous avons beau­coup entendu le mot « limites » au cours de cette enquête. Limites d’une orga­ni­sa­tion où l’on demande à des citoyens non profes­sion­nels de respec­ter un niveau d’exi­gence de plus en plus compa­rable à celui d’un exer­cice profes­sion­nel. Cette exigence, personne ne s’en plaint. Au contraire. Mais on s’in­ter­roge. Elle s’ac­com­pagne de beau­coup de rapports, de statis­tiques et de travail admi­nis­tra­tif. Faudrait-il un poste admi­nis­tra­tif sala­rié dans les CFI ?

« Comment en vouloir aux nageurs sauve­teurs d’être plus reven­di­ca­tifs que les anciens sur leurs horaires, alors qu’on les traite de plus en plus en profes­sion­nels ? », commente Bruno Borde­reau. La rému­né­ra­tion des nageurs sauve­teurs par les communes en saison est l’ex­cep­tion justi­fiée par les heures d’as­treinte qui leur sont impo­sées. Le sauve­tage de la vie humaine est gratuit et l’es­sen­tiel de l’ac­ti­vité de la SNSM repose sur le béné­vo­lat. Faudra-t-il rému­né­rer aussi les forma­teurs un jour ? Quand on l’évoque, ce n’est pas pour soi, mais pour les autres. Dans un autre sondage réalisé récem­ment auprès de l’en­semble des béné­voles de la SNSM, le béné­vo­lat restait la première des valeurs repré­sen­tant le mieux l’as­so­cia­tion, mise en avant par 42 % des répon­dants (un peu moins pour le segment des forma­teurs). Reste-t-il un modèle d’ave­nir ? Espé­rons-le. Les jeunes des prochaines géné­ra­tions, qui, eux non plus, ne seront pas comme ceux d’avant, nous surpren­dront certai­ne­ment à leur tour.

 


Rester près de la famille ou s’éloi­gner ?

Avant la saison, les sauve­teurs expriment trois vœux d’af­fec­ta­tion. Le sondage leur propo­sait de clas­ser cinq moti­va­tions. 22 % ont placé en tête la proxi­mité avec la famille et/ou les amis avant le choix de la desti­na­tion, la qualité de la mission de sauve­tage, le salaire et la qualité de l’hé­ber­ge­ment (ce qui tendrait à confir­mer l’image de jeunes qui ont du mal à s’éloi­gner du cocon fami­lial). Mais 46 % ont mis cette moti­va­tion en dernier ! Ils sentent bien que c’est une occa­sion d’ac­qué­rir un peu d’au­to­no­mie.


Être femme et nageuse sauve­teuse

Camille Bernard, 24 ans, du CFI d’Ille-et-Vilaine, consacre son week-end à la forma­tion des plus jeunes lors du stage surveillance et sauve­tage aqua­tique, celui qui ajoute la quali­fi­ca­tion mer – propre à la SNSM – au brevet natio­nal de sécu­rité et de sauve­tage aqua­tique (BNSSA). Pourquoi la propor­tion de jeunes femmes n’aug­mente-t-elle pas plus vite ?, lui demande-t-on. « Parce qu’elles ont un peu peur d’avoir du mal à s’in­té­grer. Le sauve­tage garde une image très mascu­line », estime-t-elle. La mission est aussi perçue comme très physique, assi­mi­lée à celle des pompiers ou des CRS. Les jeunes stagiaires filles, géné­ra­le­ment moins lourdes et robustes que les garçons, viennent souvent lui faire part de leurs craintes : elles ne pour­ront pas porter quelqu’un de corpu­lent. « Tu ne seras jamais seule en inter­ven­tion ; c’est un travail d’équipe », leur répond-elle.

Spécia­liste des côtes dange­reuses, Camille a souhaité décou­vrir des plages diffé­rentes chaque année. Elle arri­vait en se disant qu’il fallait qu’elle prouve, dès la première semaine, qu’elle pouvait y arri­ver, comme tout autre sauve­teur. L’été dernier, pour la première fois, à Belle-Île-en-Mer, elle a été chef de poste adjointe avec une chef de poste, super­vi­sant trois garçons. « Cela n’a posé aucun problème. Au contraire, on en a parlé. Ils étaient plutôt fiers d’être dans une équipe diri­gée par des femmes. »

Article rédigé par Jean-Claude Hazera, diffusé dans le maga­zine Sauve­tage n°156 (2ème trimestre 2021)